Historique
Les compositions de Th. Couture pour l’église Saint-Eustache s’inscrivent dans le vaste programme de restauration et de décor des églises parisiennes mené par Victor Baltard, l’inspecteur des Fêtes et des beaux-Arts de la Ville de Paris depuis 1841. De 1849 à 1858, l’église Saint-Eustache compte parmi les chantiers les plus importants, avec des remaniements du bâtiment, le renouvellement du mobilier liturgique et du décor des chapelles auquel participent Glaize, Pils, Riesener, Biennoury, Signol et Couture. Un arrêté de la préfecture du département de la Seine, daté du 6 mars 1851, stipule que « M. Couture est chargé de la décoration de la chapelle de la Vierge à l’église Saint-Eustache. Il lui est alloué pour ce travail la somme de trente mille francs ». Dès mars 1851, Th. Couture doit préparer des esquisses pour les soumettre à la commission des Beaux-Arts. Les compositions finales, exécutées sur toile et marouflées, ont été retouchées sur place en 1854-1856 et vernies en septembre 1856. Le 15 mai de cette même année, un nouvel arrêté précise que l’artiste a terminé, ce qui entraîne le règlement du solde de son travail pour un montant de 15.000 francs. Les peintures sont découvertes le 12 octobre 1856, mais la chapelle n’est officiellement inaugurée que le 15 août 1858. Conçu à une époque où Th. Couture formait de nombreux élèves, la question se pose de l’éventuelle participation de ces derniers au décor de Saint-Eustache. Le nom d’Anselm Feuerbach, qui aurait réalisé une copie du Stella Maris, est le seul qui ait circulé, mais son intervention n’est pas avérée. En revanche, il aurait servi de modèle à la figure de jeune adolescent qui implore la Vierge dans la composition de droite. Pour concevoir son décor, Th. Couture semble avoir eu peu de directives. L’artiste se mit en quête de renseignements historiques et iconographiques susceptibles de l’orienter. Le sujet des trois tableaux se réfère aux litanies de la Vierge : Mater Savatoris, dans la lunette centrale, Stella Maris à gauche, et Consolatrix Afflictorum à droite. La ferveur mariale connaît alors un extraordinaire développement, conduisant à l’affirmation du dogme de l’immaculée-Conception le 8 décembre 1854 par la bulle du pape Pie IX, Ineffabilis Deus. Th. Couture mêle à ces invocations à Marie d’autres références qui engendrent un éclectisme notoire de la représentation. Par courrier du 11 mars 1851, le bureau des objets d’art du département de la Seine demande à Couture de se concerter avec Baltard pour ses esquisses qui devront être soumises à la commission des Beaux-Arts. Réapparus sur le marché de l’art, ces modelli, de belle qualité formelle malgré un format généralement réduit, sont d’un grand intérêt pour suivre la genèse du projet. Ils complètent à cet égard les dessins du Valentine Richmond History center de Richmond (Virginie) et les sources archivistiques existantes. Destinées à l’appréciation du jury, ils auraient dû rester propriété de la ville de paris. Celui qui figure Stalle Marisa été conservé par l’artiste avant de passer dans sa succession. Le devenir des deux autres, avant qu’ils n’intègrent les musées de Beauvais et de Chalon-sur-Saône, reste inconnu. Leur confrontation avec les œuvres achevées confirme les changements demandés par la commission. En dépit de ses multiples personnages, le décor de Saint-Eustache a suscité peu d’études peintes de détails comme Couture avait pourtant l’habitude d’en faire, à titre préparatoire ou a posteriori. On en dénombre une dizaine : deux études pour la figure partielle de l’homme échoué dans Stella Maris (MUDO de Beauvais et ???), et des études d’ensemble (coll. privée et non localisées) ; pour Consolatrix Afflictorum, des études du mendiant debout (non localisée et en composition sous-jacente sur un tableau du musée de Senlis), du visage d’aveugle (Musée Denon, Chalon-sur-Saône) et du jeune adolescent à la besace (National Galerie, Oslo), et deux études d’ensemble (MUDO de Beauvais) ; pour Mater Salvatoris, une étude d’ange agenouillé (Plais de Compiègne), et une vue d’ensemble (Snite Museum of Art aux États-Unis), une étude pour les trois anges de gauche (coll. privée). Plus nombreux sont en revanche les dessins. Le fonds du musée national du palais de Compiègne compte quelques très belles feuilles pour le navire échoué du Stella Maris. Les onze dessins du musée de Richmond, provenant de l’élève américain de Couture, Edward Virginius Valentine, restent sans équivalent dans les collections françaises pour l’étude des peintures de l’église. Cette étude de tête pour l’un des anges situé à droite de la Vierge, dans la lunette centrale de la chapelle, est donc un témoignage rare et inédit, car le tableau n’avait pas été repéré jusqu’alors. Il provient d’une collection privée, mais nous ignorons comment il a échappé à la Ville de Paris. Peut-être s’agit-il d’une étude conservée par Th. Couture, puis cédée à l’un de ses élèves ou offerte à un ami, comme l’artiste avait coutume de le faire ? Elle s’ajoute en tous cas à la liste ci-dessus des études peintes préalablement à la commission des Beaux-Arts, entre 1851 et 1854. La toile est à mettre en rapport avec le décor de Mater Salvatoris. Th. Couture avait d’abord imaginé représenter l’Assomption et le vœu de Louis XIII au sein du même tableau, même cette composition fut rejetée par l’administration. Le projet évolua vers une représentation plus simple, montrant la Vierge et l’Enfant triomphant dans le ciel, encadrés par deux groupes de trois anges, et adorés par deux anges agenouillés au premier plan. Par sa facture et la technique picturale mise en œuvre, cette étude d’ange reflète parfaitement la méthode de Th. Couture. Le traitement formel qui rompt avec les poncifs académiques, la façon dont la figure est cernée d’un trait noir, le fond de toile largement brossé dans un camaïeu de bruns, sont caractéristiques de l’artiste. Il en va de même pour les jeux de valeurs, les tons clairs et lumineux au centre et les valeurs sombres rejetées sur l’extérieur. L’œuvre montre également l’alliance des contraires chère au peintre : celle des couleurs, que nous venons d’évoquer, mais aussi celle des empâtements épais qui contrastent avec les zones de réserve et les parties de la toile traitées par un savant glaçage de la matière de manière à obtenir des effets de transparence, sur les carnations notamment. Cette œuvre nous semble donc particulièrement intéressante pour ce qu’elle apporte à la connaissance du seul grand décor religieux de Th. Couture et pour la démonstration qu’elle offre de la technique du peintre.